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Comptes rendus

Le verre à moitié plein (éditorial du numéro de janvier 2020)

19/12/2019

Ouf ! C’est le premier mot qui, spontanément, me vient sous la plume au moment d’écrire cet éditorial. Car la réalisation du numéro que vous tenez entre les mains, avec la quasi-paralysie des transports parisiens, n’a pas été une sinécure. D’autant que, sur le double plan professionnel et personnel, elle a été marquée par la disparition de l’un de nos collaborateurs les plus précieux.

Le 19 novembre, Rémy Stricker s’en est allé, à l’âge de 83 ans. Plume fidèle d’Opéra Magazine depuis sa naissance, et avant d’Opéra International, il a toujours été pour moi une référence. Dans ses domaines de prédilection, évidemment, tels que le lied, Mozart ou l’opéra romantique allemand, mais aussi, plus généralement, pour son immense intelligence, ses qualités d’écriture et sa capacité à susciter la réflexion chez le lecteur (ses articles de fond et critiques, ses livres sur Mozart, Beethoven, Duparc…) et l’auditeur (il fut, pendant quarante ans, un professeur d’esthétique musicale admiré de tous, au CNSMD de Paris).

Du côté de l’actualité des théâtres, la ronde des nominations à la tête des scènes de l’Hexagone touche à sa sa fin. Après l’arrivée de Frédéric Roels à l’Opéra Grand Avignon, ne manque plus que le nom du nouveau directeur (ou directrice) de l’Opéra National du Rhin. À l’heure où j’écris ces lignes, le 17 décembre, il n’est pas encore connu, mais l’annonce est imminente.

Dans ce registre, la grosse surprise est arrivée de Monaco, avec le passage de témoin, au 1er janvier 2023, entre Jean-Louis Grinda et Cecilia Bartoli. En privé, le directeur de l’Opéra de Monte-Carlo, qui a entamé sa treizième année de mandat en juillet 2019 et s’apprête à fêter son 60e anniversaire, ne faisait pas mystère de son envie de passer à autre chose. Sauf que, contrairement à beaucoup qui occupent des fonctions similaires et s’accrochent coûte que coûte, lui est passé à l’acte. Alors que rien ne l’y obligeait et qu’il avait la possibilité de rester encore des années à son poste !

Le fait est suffisamment rare pour être souligné. Il correspond bien à ce que l’on connaît de la personnalité de l’intéressé qui, de surcroît, a pris la peine d’organiser sa succession. C’est lui qui a suggéré le nom de Cecilia Bartoli à la princesse de Hanovre, présidente du conseil d’administration, estimant, comme celle-ci l’a expliqué en conférence de presse, que le temps était venu pour lui de « passer la main » à quelqu’un ayant de nouvelles idées pour l’opéra en Principauté.

Jean-Louis Grinda, c’est sûr, ne va pas rester inactif. Metteur en scène invité aux quatre coins du monde, membre du Conseil national de Monaco depuis 2013, il est également, depuis 2016, directeur des Chorégies d’Orange. À ce titre, il vient d’annoncer le contenu de sa programmation pour l’été 2020, de plus en plus éloignée de ce que faisaient ses prédécesseurs au Théâtre Antique et explicitement placée sous le signe de la contrainte budgétaire.

Dès le 22 juin, la présence du violoniste « star » Nemanja Radulovic et de son ensemble Double Sens, dans un programme mêlant des œuvres de Vivaldi, Rimski-Korsakov et du compositeur serbe contemporain Aleksandar Sedlar, affirme une volonté de multiplier les aventures artistiques « audacieuses », pour reprendre l’adjectif utilisé par Jean-Louis Grinda dans le dossier de presse. Volonté confirmée, le 16 juillet, par la présentation de Ballet for Life, sur des musiques de Queen, par le Béjart Ballet Lausanne.

L’opéra n’est évidemment pas oublié, avec toujours deux titres, mais le second simplement « mis en espace » : La forza del destino, le 1er août. Quant à Samson et Dalila, il sera, lui aussi, donné un seul soir, au lieu de deux, le 10 juillet, sauf que, cette fois, il s’agira d’une vraie mise en scène, signée par Jean-Louis Grinda lui-même, en coproduction avec l’Opéra de Monte-Carlo.

Lors de sa conférence de presse, le 29 novembre, le directeur n’a pas joué la langue de bois, s’agissant des difficultés financières de la manifestation, ainsi que le rapporte La Provence, dans son édition du lendemain : « La programmation s’en trouve resserrée. La mort dans l’âme, Jean-Louis Grinda a dû renoncer à Pop the Opera faute de financements suffisants, notamment de la part de l’Éducation nationale. Exit aussi les soirées récitals à la cour Saint-Louis «parce qu’elles n’ont pas trouvé leur public». Pas de ciné-concert non plus, et une seule représentation par opéra : «Pas seulement pour des raisons économiques mais parce qu’une soirée d’opéra doit être un moment unique, un peu comme un direct, on y est ou on n’y est pas», justifie le directeur. »

Pour autant, comme le souligne le quotidien, programmation resserrée ne signifie pas programmation au rabais. En sus des artistes mentionnés plus haut, Cecilia Bartoli se produira avec ses Musiciens du Prince, Myung Whun-Chung et l’Orchestre Philharmonique de Radio France accompagneront Maxim Vengerov dans le Concerto pour violon de Brahms, et Samson et Dalila réunira rien moins que Roberto Alagna, Marie-Nicole Lemieux et Ludovic Tézier. Une affiche qui, à elle seule, justifie qu’on se précipite sur le site de réservation des Chorégies !

Essayons donc de regarder le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide, même si c’est difficile. Et que la période morose que nous traversons ne vous empêche pas d’aborder dans les meilleures dispositions cette nouvelle année 2020, que je vous souhaite pleine de bonheur et de santé.

RICHARD MARTET

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