Comptes rendus Lohengrin se bonifie à Bayreuth
Comptes rendus

Lohengrin se bonifie à Bayreuth

13/09/2019

Festspielhaus, 29 juillet

Même si de grands chanteurs s’y sont produits à toutes les époques, Bayreuth n’a jamais été un lieu de vedettariat, et cette malheureuse production de Lohengrin – fourvoyée depuis sa création, l’été dernier (voir O. M. n° 143 p. 34 d’octobre 2018), dans d’improbables effets d’annonce qui capotent les uns après les autres – nous le prouve a contrario.

Défection, en 2018, de Roberto Alagna, remplacé par Piotr Beczala (de retour, cette année, en alternance avec Klaus Florian Vogt) ; forfait, pour cette édition 2019, d’Anna Netrebko, terrassée par un soudain « état d’épuisement », avec à peine dix jours de préavis ; désistement, un peu plus tôt, de Krassimira Stoyanova, qui devait alterner avec Netrebko ; substitution par Camilla Nylund, elle-même remplacée in extremis, le 29 juillet, par Annette Dasch… Décidément !

Après tant de cahots, ce Lohengrin se replie, l’espace d’un soir, sur des valeurs bayreuthiennes bien plus authentiques, et le résultat est beau. Annette Dasch débarque dans la production, mais s’impose vite : une Elsa présente et touchante, y compris quand sa voix blanchit curieusement, évoquant des inflexions d’enfant. Tomasz Konieczny, assez peu apprécié, l’été dernier, s’affirme pourtant comme un robuste Telramund, qui tire parti d’une voix peu homogène pour paraître encore plus méchant.

De l’Ortrud d’Elena Pankratova, succédant à Waltraud Meier, en 2018, on pouvait attendre d’impressionnantes réserves de puissance, effectivement au rendez-vous : les aigus sont projetés vers la salle avec une autorité qui coupe court à la moindre envie de chipoter. Comme toutes les basses présentes à Bayreuth, cette année, Georg Zeppenfeld est somptueux en Roi, Egils Silins assurant un Héraut doté d’une bonne prestance.

Mais l’atout maître reste Klaus Florian Vogt : un Lohengrin de haute volée, qui fait chatoyer ses phrases avec une fabuleuse limpidité de diction, mais aussi une maîtrise inédite des couleurs et des mélanges de registres. Le rôle paraît librement dégagé des contingences habituelles du chant, dominé comme en apesanteur, et l’effet est totalement magique.

L’été dernier, Richard Martet se déclarait relativement déçu par un Prélude qui, cette année, avec des cordes peu homogènes, voire laides, prend même des allures de ratage. Mais Christian Thielemann se ressaisit ensuite : une exécution sécurisante, voire fortement contrastée, qui sait tirer un parti maximal de la beauté légendaire des chœurs de Bayreuth.

Quant à la production de Yuval Sharon, apparemment mieux réglée qu’en 2018, elle a les qualités et les travers habituels de tous les projets où on laisse carte blanche à des artistes plasticiens de valeur, mais peu habitués au théâtre : décors peints et costumes bizarrement créatifs (bleu et orange : le vieux stratagème des couleurs complémentaires), beaux éclairages… Somme toute, à défaut d’intensité dramatique, un joli diorama d’un autre âge, qui entre bien en résonance avec les particularités architecturales de la salle.

Alors, sous réserve de ne surtout pas essayer d’analyser les contorsions électro-écologico-féministes de l’argumentaire, il n’y a plus qu’à se laisser porter par cet onirisme bleuâtre et on passe, tout compte fait, une bonne soirée. Même l’apparition finale du petit Gottfried en bonhomme vert moussu, allégorie d’une nature qui tente timidement (ridiculement ?) de renaître dans cet univers froid et métallique, n’y déclenche plus de fou rire.

LAURENT BARTHEL

PHOTO © BAYREUTHER FESTSPIELE/ENRICO NAWRATH

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