Opéra-Théâtre, 14 octobre
Il ne manque pas un air, pas une reprise, pas une coda, pas une bribe de récitatif à cette nouvelle production de Lucia di Lammermoor, qui intègre même la brève scène de transition entre la folie de l’héroïne et la mort d’Edgardo. Du coup, l’opéra de Donizetti y gagne en authenticité stylistique, sans pour autant paraître plus long.
Il est vrai que les tempi rapides d’Amaury du Closel et sa direction très cursive y contribuent largement. Les effectifs allégés de l’orchestre Les Métamorphoses et du chœur Opéra Nomade n’hypothèquent pas trop la cohérence sonore de l’ensemble, dans la petite salle de l’Opéra-Théâtre. En revanche, ils exposent quelques faiblesses parmi les vents et laissent percevoir un certain manque d’homogénéité chez les voix masculines.
Côté solistes, la distribution réunie par Clermont Auvergne Opéra se révèle à la hauteur des exigences de la partition. Le baryton coréen Jiwon Song, bien que privé des aigus facultatifs par l’édition critique, et le ténor égyptien Ragaa Eldin possèdent, en effet, les moyens de restituer tout son intérêt à la scène de bravoure de Wolf’s Crag, qui les oppose, et qui est si souvent sacrifiée.
Jiwon Song offre à Enrico une voix large, au médium solide et au grave imposant de quasi-basse chantante. Ragaa Eldin est un spinto à l’aigu brillant, qui sait nuancer son chant pour rendre pleinement justice aux aspects élégiaques du rôle d’Edgardo.
Heera Bae possède une voix longue, très colorée, d’une remarquable souplesse et d’une belle extension dans l’aigu, qui lui permet d’assurer avec brio les vocalises de Lucia. La soprano coréenne donne toute l’intensité voulue à sa célèbre scène de folie, qu’elle interprète avec un engagement théâtral total.
Seule la basse italienne Federico Benetti, avec des moyens respectables, mais une réelle difficulté à homogénéiser ses registres et quelques problèmes d’intonation, déçoit en Raimondo. Du côté des comprimari, on distinguera la très présente Alisa de la soprano japonaise Noriko Urata, ainsi que l’Arturo, au timbre séduisant et à l’articulation impeccable, du ténor français Avi Klemberg.
Pour mieux restituer cette histoire de femme opprimée et sacrifiée aux intérêts masculins, Pierre Thirion-Vallet transpose l’action dans un XIXe siècle tardif : les messieurs, armés de fusils (dont ils ne cessent de se menacer), sont en redingotes, et les dames en robes à tournure. Lorsque débute le Prélude, Lucia apparaît à l’avant-scène, traînant après elle le voile de ses noces fatales.
Le décor, simplifié à l’extrême, joue d’un ensemble de piliers carrés, dont les variations et l’habillage créent les espaces du drame dans des ambiances volontiers envahies par la brume, avec des éclairages glauques de sous-bois. L’image d’une femme nue et offerte réapparaît régulièrement sur les piliers, symbole de ce corps féminin, objet de toutes les convoitises et enjeu de la tragédie.
Quelques idées fortes (le fantôme d’Arturo traversant le plateau, pendant la scène de folie de Lucia…) visent à approfondir une production classique mais très réussie, dont l’économie dans les moyens devrait lui permettre de s’adapter aux différentes scènes, sur lesquelles elle est appelée à être remontée.
ALFRED CARON
PHOTO © YANN CABELLO