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Comptes rendus

Nuit d’étoiles à Orange  – Ludovic Tézier

28/06/2020

Nous publions aujourd’hui notre entretien avec Ludovic Tézier.

Alors que vous avez pris la plume, à plusieurs reprises, pour défendre votre art, quel a été l’impact du confinement sur votre vie personnelle ?

J’ai été surpris, moins par l’irruption de ce virus un peu inattendu et l’enchaînement des événements, que par l’hyperactivité démesurée dans les réactions qui en ont découlé. Les conséquences, tant sanitaires qu’économiques, n’ont rien d’extraordinaire. Comme dans toute grande crise – et la France a connu des moments tragiques –, la désunion s’est révélée, alors qu’elle était déjà là de manière latente. Certains disent que le confinement a sauvé le monde, d’autres affirment qu’il l’a enfoncé. L’histoire jugera. Je suis, pour ma part, très légaliste, et me suis donc enfermé à Paris avec les miens, en restreignant nos sorties. Nous avons la chance d’habiter un appartement, sinon immense, du moins très douillet, avec une très jolie fenêtre laissant entrer beaucoup de lumière, et un très pratique vélo d’appartement pliable, grâce auquel j’ai pu entretenir, non ma ligne de sylphide, qui a disparu il y a bien longtemps, mais mes jambes et mon cœur, tout en me vidant la tête. Nous avons, comme tout le monde, suivi les actualités – car, de même qu’en 1940, les gens pointaient des punaises sur les cartes de France pour voir l’invasion arriver, nous tenions à être renseignés sur la façon dont les choses évoluaient par région. Une fois que la propagation s’est stabilisée au gros tiers Nord-Est du pays, nous nous sommes un peu coupés de l’information continue. Inutile de s’intoxiquer avec ces vérités qu’on dément le lendemain, pour nous les resservir le surlendemain ! Cette crise a, en effet, donné lieu à un cirque déplorable, et assez insupportable à vivre au quotidien. L’idée n’était pas de prendre ou non de la chloroquine, mais de ne pas avoir à prendre de médicament du tout, et nous avons fait tout ce qu’il fallait pour.

Qu’est-ce qui vous a incité à vous exprimer à travers deux lettres ouvertes, puis en lançant une pétition avec Jonas Kaufmann ?

Je me suis impliqué dans ce que j’estimais, de manière absolument subjective, juste, en sollicitant l’attention des gouvernants, aux prises avec un événement qui les a, de toute évidence, dépassés – mais qui ne l’aurait pas été ? La cause de l’art, de la culture, et des centaines de milliers de personnes qui, en France, travaillent dans ce secteur, risquait, en effet, de passer à la trappe. Il s’agissait donc, d’un côté, d’appeler par un joli mot, un peu suranné aussi, à la concorde des forces de création dans ce pays, et de l’autre, d’interpeller, sans haine, ni même colère, mais de façon assez solennelle, le pouvoir sur notre situation. Je n’avais guère d’espoir que ma grande voix à la scène, mais toute petite voix à la ville, soit entendue au sommet de l’État, en particulier dans le contexte actuel, mais je pense, en conscience, qu’il fallait le faire. Il serait très dommageable pour le métier que les « grandes gueules » ne se mettent pas en avant, pour défendre les petits camarades, qui font le ciment et la qualité d’un spectacle, et sont mes amis de cœur ! Il faut aller au combat, pour faire en sorte que les moins célèbres, les moins fortunés, puissent résister. Car il ne s’agit pas aujourd’hui de sauver l’avenir, mais bel et bien de survivre au présent.

Même si la reprise se profile en Europe – alors que certaines grandes maisons américaines ont purement et simplement annulé leur saison d’automne –, les incertitudes demeurent. Quel est votre degré d’optimisme ?

J’ai un énorme défaut, qui m’a desservi pendant assez longtemps dans ma vie privée, en m’empêchant parfois de vivre joyeusement l’instant présent, celui d’anticiper les choses. Je ne suis donc ni pessimiste, ni optimiste. Nous nous trouvons aujourd’hui face à des données objectives, sur lesquelles nous pouvons réfléchir – même s’il aurait fallu le faire depuis quelques mois. Prenez le cas du Festival de Salzbourg, dont la programmation a été remodelée. Les Autrichiens, qui sont extrêmement rigoureux, vont autoriser 1 000 personnes dans la salle – de là à ce qu’ils puissent passer en jauge pleine dans un mois… J’ai, en revanche, moins confiance dans la capacité de réaction de certains directeurs ou institutions qui, plutôt que de se retrousser les manches et d’assumer la décision de reprendre, se cachent derrière un principe de précaution, à mon sens, perverti. Est-ce parce que la musique de Verdi nous électrise, que le virus serait plus virulent dans une salle d’opéra que dans le métro, sur une terrasse bondée, ou sur les quais de Seine ? C’est une fumisterie sans nom ! Nous sommes tous prêts, musiciens, chanteurs, tels des navires de guerre à quai, à partir dans l’heure. Parce que nous sommes des « morts de faim ». Les institutions devraient, elle aussi, être dans cette optique. Décider, aujourd’hui, de ne pas rouvrir avant 2021, c’est d’une légèreté et d’une inconséquence intolérables vis-à-vis de tous ceux qui travaillent dans ces maisons.

Quelle a été votre réaction, quand Jean-Louis Grinda vous a décrit son projet d’inviter des artistes à se produire seuls sur la scène d’un Théâtre Antique vide ?

L’opéra est nu ! L’image d’un chanteur, avec un piano, devant ce mur, dans ce théâtre bimillénaire, sera sans doute très belle, et le moment, assez solennel. Le projet a du panache, et le message est important. Je suis sûr que la soirée vaudra le détour, mais il y manquera une valeur plus qu’ajoutée, la présence du public. J’ai eu la chance d’entrer sur la scène d’Orange plusieurs fois, et de prendre ce fer à cheval, qui semble un mur depuis le plateau. Elles vont nous manquer, ces 8 000 têtes qui nous regardent, et ces 8 000 paires d’oreilles ! L’égrégore qui se crée dans un tel lieu est très propice au partage. Je suis convaincu que l’art lyrique transmet beaucoup plus que de simples notes et de jolies mélodies : il s’agit des rares moments où les êtres humains communient, sans même s’en rendre compte. Cette soirée aidera à la survie de ce sentiment, et, en même temps, démontrera qu’il est en danger. Sans public, nous ne sommes plus dans un théâtre, mais dans un monument historique. Ce sera une impression étrange, et nous serons sans doute très contents de nous retrouver entre artistes, car nous aurons besoin les uns des autres. Le moment sera symbolique dans l’histoire de notre métier, qui a résisté même aux guerres les plus violentes.

Propos recueillis par MEHDI MAHDAVI

© DR

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