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Comptes rendus

On m’appelle Mimi… (éditorial du numéro de mars 2020)

18/02/2020

On entendait (plus ou moins) le toc-toc sur la porte de la mansarde, Rodolfo répondait « Chi è là ? » et, des coulisses, surgissait un « Scusi » immédiatement reconnaissable. Mirella Freni, « la » Mimi du XXe siècle, celle qui avait fait tellement corps avec l’héroïne principale de La Bohème qu’elle en était devenue, telle Lisa Della Casa en Arabella, l’incarnation idéale pour des centaines de milliers de mélomanes, s’apprêtait à entrer en scène.

C’est cette séquence qui m’est immédiatement revenue à l’esprit en apprenant, le 9 février dernier, la disparition de l’immense soprano -italienne, à moins de trois semaines de son 85anniversaire. Mirella Freni ayant beaucoup chanté pendant ses cinquante années de carrière (1955-2005), et beaucoup La Bohème, chacun chérit précieusement le souvenir de sa première rencontre avec sa Mimi. Pour moi, ce fut au Coliseo Albia de Bilbao, en 1978.

Adolescent fou d’opéra, je connaissais certes ses deux intégrales en studio de l’ouvrage, enregistrées respectivement sous la baguette de Thomas Schippers (EMI/Warner Classics) et Herbert von Karajan (Decca). Mais rien ne m’avait préparé à la puissance et au rayonnement exceptionnels de cette voix en direct. À la fin du premier acte, j’étais déjà en extase, d’autant que Jaime Aragall, son Rodolfo ce soir-là, était dans une forme éblouissante.

Sept ans plus tard, deuxième choc. Quand j’apprends que Mirella Freni chantera pour la première fois Eugène Onéguine en Europe, dans le cadre du Mai Musical de Bordeaux 1985, un an après sa prise de rôle à Chicago, je m’y précipite. La voix a gagné en ampleur et en richesse depuis 1978, sans rien perdre de sa fraîcheur de timbre. Oublié, dès lors, l’âge réel de cette Tatiana (elle vient de fêter son 50e anniversaire !), on n’en retient que l’éblouissante jeunesse.

C’est sans doute le moment d’insister sur la sagesse et le professionnalisme avec lesquels l’artiste, bien conseillée par ses deux maris successifs (le pianiste et chef d’orchestre Leone Magiera, puis la basse bulgare Nicolaï Ghiaurov), mena de bout en bout sa carrière. Celle que les Italiens surnommaient « la prudentissima » refusa toujours, en effet, de brûler les étapes.

Pur soprano lyrique à ses débuts, elle ne s’aventura que très progressivement dans le registre spinto, en veillant à ne jamais mettre son instrument en péril. Pour cette raison, elle refusa obstinément d’aborder Tosca, Madama Butterfly et Mireille à la scène, alors même qu’elle les avait enregistrées en studio !

Il y eut, certes, quelques choix malheureux, mais Mirella Freni réussit toujours à les transformer en parenthèses vite oubliées, à l’exception de sa prise de rôle dans La traviata, en 1964, à la Scala, qui lui valut des huées largement médiatisées. Ainsi, je n’étais pas à Milan, en décembre 1982, pour son Elvira d’Ernani, mais j’étais devant mon poste de télévision. Et j’ai le souvenir du mauvais moment vécu par la cantatrice.

À chaque note, on sentait que Mirella Freni était parfaitement consciente de l’inadéquation de ses moyens et de sa personnalité au rôle. Mais elle n’avait pas voulu se retirer de cette production de prestige, pour ne pas mettre le théâtre dans l’embarras, ni décevoir les spectateurs. Et puis, avouons-le, le résultat, sans être concluant, n’avait rien de désastreux !

Nous reviendrons plus longuement sur les caractéristiques de la voix de Mirella Freni dans notre numéro d’avril, au sein de l’hommage que nous lui préparons (nos délais de bouclage ne nous permettaient pas de le publier dans celui de mars). Mais je tenais à lui consacrer cet éditorial, tant elle a contribué à me faire aimer l’art lyrique, au point d’en faire mon métier.

Curieusement, quand Jean-Baptiste Urbain, de France Musique, m’a contacté, le soir de sa mort, pour lui rendre hommage le lendemain matin sur les ondes, je n’ai pas choisi l’un des deux airs de Mimi comme accompagnement. J’ai préféré le délicieux « Son pochi fiori » de Suzel, extrait de l’intégrale de L’amico Fritz, gravée en 1968, sous la baguette de Gianandrea Gavazzeni, avec Luciano Pavarotti dans le rôle-titre (EMI/Warner Classics).

On sait les liens qui unissaient le ténor et la soprano, nés à Modène, la même année, et élevés ensemble. Le couple qu’ils formaient dans La Bohème est, à juste titre, entré dans la légende. Mais ils étaient tout aussi irrésistibles dans L’amico Fritz, quand bien même le deuxième opéra représenté de Mascagni captive moins que le quatrième de Puccini.

Mirella Freni « était » Suzel, cette jeune paysanne éprise du riche propriétaire terrien de son village. Elle en avait la simplicité, la fraîcheur, la candeur, la timidité, la pointe d’espièglerie, bref tout ! Et sa manière d’offrir un modeste bouquet de fleurs à celui qu’elle aime en secret me fait, encore aujourd’hui, fondre de bonheur.

RICHARD MARTET

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