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Optimiste malgré tout (éditorial du numéro de novembre)

22/10/2020

J’aurais tellement aimé vous parler d’autre chose que des conséquences de la crise sanitaire. Las, il se passe tellement de choses tous les jours que c’est bien le Covid-19 qui est devenu le principal acteur de la vie de l’art lyrique.

Que voit-on en regardant dans le rétroviseur des dernières semaines ? D’abord, comme on pouvait le craindre, la détection de cas positifs ou de malades avérés a abouti à l’annulation de spectacles aussi importants que la nouvelle production de Tannhäuser à l’Opéra de Rouen Normandie ou Le Bourgeois gentilhomme de Molière & Lully à l’Opéra-Comique.

Ensuite, alors que les salles, comme l’ensemble de la population française, commençaient à s’habituer à vivre avec le virus, grâce à des protocoles sanitaires contraignants pour les personnels et les artistes, à des jauges de salle réduites et, ne l’oublions pas, à l’accompagnement financier de leurs tutelles, le président de la République a, le 14 octobre, décrété un couvre-feu, fixé à 21 heures, en Île-de-France et dans huit grandes métropoles.

Branle-bas de combat dans les théâtres lyriques de Paris, Grenoble, Lille, Lyon, Marseille, Saint-Étienne, Rouen, Montpellier et Toulouse ! Tous ont adapté leurs horaires – ou sont en train de le faire –, commençant les représentations plus tôt (17 h, 18 h, 18 h 30, 19 h, selon la durée du spectacle ou du concert), pour permettre au public d’être de retour chez lui à l’heure fatidique. Dans le cas d’un opéra très long, comme Hippolyte et Aricie, l’Opéra-Comique a même changé ses dates, ne jouant plus que le mercredi, le samedi et le dimanche à 15 h.

Précisons que nous parlons ici des salles tirant l’essentiel de leurs ressources des subventions publiques. Les producteurs privés de musique classique, eux, sont dans une situation dramatique, comme Laurent Brunner, directeur de Château de Versailles Spectacles, l’explique dans les pages « Actualités » de ce numéro. Ils ont adressé un courrier à la ministre de la Culture, le 5 octobre, dénonçant le faible montant de l’aide d’urgence accordée à leur secteur. On espère que Roselyne Bachelot, très présente dans les colonnes des journaux et sur les plateaux de télévision, pour répéter que le gouvernement est là pour venir au secours de tous ceux qui en ont besoin, répondra favorablement à leur requête.

À l’étranger, la situation n’est guère plus réjouissante. L’Amérique du Nord continue à fermer ses salles pour l’ensemble de la saison 2020-2021. Dans le sillage du Metropolitan Opera de New York, la Canadian Opera Company de Toronto a pris cette décision difficile, le 6 octobre, permettant au passage à Alexander Neef d’être entièrement libre de se consacrer à l’Opéra National de Paris.

On souhaite, à ce propos, bon courage au nouveau directeur de la « Grande Boutique », qui doit, entre autres urgences, décider à quelle heure débuter les représentations de la Tétralogie, proposée en version de concert, en novembre. Prévu le jeudi 26 novembre à 18 h, Siegfried, qui dure environ cinq heures avec deux entractes (indispensables), va-t-il être avancé à 14 h ? Voire 13 h 30 ? À l’heure où j’écris ces lignes, le 19 octobre, rien n’est décidé.

Dans le reste de l’Europe, c’est chacun pour soi. En Italie, Stéphane Lissner, à Naples, et Alexander Pereira, à Florence, ont depuis longtemps présenté leur saison 2020-2021. Dominique Meyer, lui, a repoussé sine die la conférence de presse d’annonce, prévue le 16 octobre, à la Scala de Milan, où il ne devait pourtant lever le voile que sur les mois de décembre, janvier, février et mars ! Quant au Festival de Pâques de Salzbourg, il préfère prendre les devants et vient d’indiquer que la Turandot du 27 mars 2021, avec Anna Netrebko, se donnerait en version de concert.

Une bonne nouvelle, quand même : le public répond présent, malgré tous les changements de programme, d’heure, voire de date, auxquels il est confronté. Ceux qui se pressent dans les salles n’ont apparemment pas peur – j’avoue, à titre personnel, me sentir parfaitement en sécurité aujourd’hui dans un théâtre lyrique – et je suis heureux, par exemple, que l’Opéra-Comique ait refusé du monde pour le concert organisé par l’association UNiSSON, le 17 octobre.

Cet événement, dont les bénéfices serviront à aider les artistes les plus frappés par la crise, a constitué un vrai moment de fête et de partage. Venus bénévolement, une soixantaine de chanteurs, dont certains n’avaient plus revu le public depuis le mois de mars, et trois pianistes ont défilé sur le plateau de la Salle Favart, dans un programme mêlant piliers du répertoire et raretés (Serenade to Music de Vaughan Williams, Wonderful Town de Bernstein, Le Bonheur d’aimer d’Arthur Lavandier en création mondiale).

Beaucoup d’enthousiasme, la confirmation de l’excellence de la génération montante – j’ai repéré au moins deux candidats pour la rubrique « Jeune Talent » d’Opéra Magazine –, et une évidente complicité entre ceux faisant carrière sur des grandes scènes (Aude Extrémo, Stanislas de Barbeyrac, Benjamin Bernheim, Sabine Devieilhe, Eve-Maud Hubeaux, Philippe Jaroussky, Clémentine Margaine, Florian Sempey, Chiara Skerath, Mathias Vidal…) et les presque débutants.

Cet inoubliable concert, devant une assistance où l’on remarquait la présence de Roselyne Bachelot et d’Alexander Neef, en plus d’Olivier Mantei, directeur de l’Opéra-Comique, me permet de terminer cet éditorial sur une note d’optimisme. Ce n’était pas gagné d’avance !

RICHARD MARTET

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