Comptes rendus Pelléas musicalement captivant à Lille
Comptes rendus

Pelléas musicalement captivant à Lille

31/03/2021

Opéra, 22 mars

Scénographe attitré de Claude Régy, de 1989 à 2003, familier de Maeterlinck, Daniel Jeanneteau était prédestiné, sans doute, à monter Pelléas et Mélisande. Et la nouvelle production de l’Opéra de Lille – fermée au public, mais ouverte à quelques journalistes devant en rendre compte, avant sa diffusion sur la plateforme OperaVision, du 9 avril au 9 octobre – s’ouvre sur une image d’une poésie saisissante : une silhouette féminine prend forme, comme en apesanteur, dans un fin rideau de pluie. Apparition surnaturelle, qui interroge d’emblée la réalité de Mélisande.

Un effet, aussi onirique soit-il, ne fait cependant pas un spectacle. Pas plus, d’ailleurs, qu’un décor. Un trou – fontaine, fosse, souterrain ? – occupe, béant, le centre d’un plateau presque nu, grand ouvert sur une obscurité d’où émanent les personnages, quand elle ne les engloutit pas. Glaçant, hypnotique, comme ce château où la famille royale d’Allemonde semble prisonnière d’elle-même, et de principes figés dans la sagesse sentencieuse d’un patriarche à demi aveugle.

Parce qu’il cherche, peut-être, à garder intact le mystère de l’œuvre, Daniel Jeanneteau tombe alors dans le piège d’un symbolisme trop distancié, évitant que ces énigmatiques figures, auxquelles se heurtent « les conceptions traditionnelles de la psychologie », ne s’incarnent, que le désir et la jalousie aillent au-delà d’un informulé, verbal et surtout physique, qui entacherait une forme d’épure, où Mélisande, au contact de Pelléas, en deviendrait le double.

Golaud, dans l’ultime scène du IV, est d’ailleurs présent presque dès le début, bien avant la chute de son demi-frère dans l’abîme. Au début du dernier acte, Geneviève, Arkel et le Médecin, avec pelles et brouette, auront rebouché celui-ci. Pour qu’il ne reste aucune trace, que tout soit oublié, et que la vie reprenne son cours immuable.

On a vu, ces dernières années, trop de mises en scène marquantes, et paradoxalement plus contestables, du chef-d’œuvre de Debussy – Dmitri Tcherniakov, à Zurich, Krzysztof Warlikowski, à la RuhrTriennale, Barrie Kosky, au Komische Oper de Berlin et à l’Opéra National du Rhin – pour se satisfaire, même en ces curieux temps de disette, de cette vision morne et terne, oscillant entre pudeur et littéralité presque naïve, où les cheveux courts et ébouriffés de Mélisande ne sont guère plus qu’une vaine coquetterie, destinée à se démarquer d’une tradition dès longtemps abandonnée…

C’est dans l’orchestre, dont les vents sont déployés jusqu’au milieu du parterre, vidé de ses fauteuils, que le théâtre bouillonne. Dans le contexte d’une représentation destinée à être captée, plutôt que vue et entendue depuis la salle par quelques professionnels chanceux, la question de l’équilibre avec le plateau, dont les membres ne sont pas tous égaux en matière de projection, passe d’ailleurs au second plan.

Ni évanescence, ni flou, ni extase censément impressionnistes, le geste précis, mais jamais raide, de François-Xavier Roth tend le drame vers l’inéluctable, en portant les timbres de son orchestre Les Siècles qui, faut-il le rappeler, joue sur instruments d’époque, au paroxysme de l’expressivité : les cordes sifflent, claquent, caressent aussi, quand les bois chantent avec une infinie tendresse.

La distribution s’accorde absolument à cette lecture sans concession, à l’exception de Marie-Ange Todorovitch, dont l’émission caricaturale, et si peu distinguée, charge la lecture de la lettre de Geneviève d’une emphase surannée. Jean Teitgen enveloppe ainsi le ténébreux verbe d’Arkel de son souffle inépuisable, sans que le flux basaltique de ses somptueuses orgues n’en dissipe ou appesantisse jamais les contours.

Comme le Golaud d’Alexandre Duhamel a mûri depuis sa prise de rôle, à Bordeaux, en 2018 ! Bête de scène, le jeu censément intériorisé voulu par Daniel Jeanneteau semble le brider souvent. Mais il a fait sien, sans le savoir, peut-être, ce conseil de José Van Dam, pour qui chanter cette partition consiste à parler un peu plus haut. Dans les climax, la voix gronde, plus basse, presque, que baryton, tandis qu’elle se fait soudain murmure insinuant, pour extirper les aveux d’Yniold : le petit Hadrien Joubert, issu de la Maîtrise de Caen, à l’intonation immaculée.

Vannina Santoni a gardé, ou retrouvé, une part d’enfance assez insaisissable qui rend sa Mélisande d’emblée fascinante, laissant la lumière à peine voilée de son soprano, plus opulent ici qu’ailleurs, agir tel un sortilège, avec un naturel désarmant. Bien plus authentiquement ténor qu’un Stanislas de Barbeyrac, Julien Behr se glisse dans la peau de Pelléas avec une bouleversante évidence, qui est celle d’une langue suprêmement châtiée, comme d’une couleur idéalement juvénile, transcendées par la sincérité de l’élan poétique.

MEHDI MAHDAVI

PHOTO © FRÉDÉRIC IOVINO

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