Comptes rendus Prégardien père et fils à Paris
Comptes rendus

Prégardien père et fils à Paris

12/02/2021

Philharmonie, Salle des Concerts, 26 janvier

Une fois par saison, l’Orchestre de Chambre de Paris propose un concert pluridisciplinaire. Lars Vogt, son directeur musical depuis l’été dernier, a ainsi imaginé une soirée originale, Père et fils, avec les ténors allemands Christoph et Julian Prégardien – une de leurs thématiques favorites, depuis le très bel album Father and Son, paru chez Challenge Classics, en 2014 –, interrogeant les liens complexes, parfois conflictuels, souvent exaltants, de la paternité et de la filiation, et plus largement, de la notion de transmission. Leur est associé le chorégraphe Thierry Thieû Niang, également responsable de la mise en espace, qui, avec le jeune Jonas Dô Hùu, propose un contrepoint dansé à la musique.

La soirée alterne pièces instrumentales et airs chantés – en solo ou à deux – de Beethoven et Schubert, accompagnés à l’orchestre (arrangements de Brahms, Reger, Webern… et de Clara Olivares, compositrice en résidence) ou au piano. Ainsi, l’Ouverture Prométhée de Beethoven s’enchaîne-t-elle avec l’épique Prometheus de Schubert, et l’extrait d’Alfonso und Estrella de ce dernier, qui reprend le thème de Taüschung dans Winterreise, ouvre-t-il très naturellement sur le lied suivant du même cycle, Der Wegweiser.

L’émotion est grande à voir et entendre les Prégardien dans cette proximité physique et sonore. En solo, malgré la parenté de timbre, ce sont surtout les différences qui sautent aux oreilles : chez Christoph, remarquable diseur, l’étroite connexion avec le texte et la rythmicité du discours frappent immédiatement, tandis que Julian fait davantage « chanteur », pour une approche musicale plus opératique, moins intérieure.

Par ailleurs, même si l’aigu n’est le point fort ni de l’un, ni de l’autre, le père se révèle très habile pour tourner cette limite en caractérisation, parant même sa voix de couleurs barytonales. Le fils, en revanche, ne parvient pas toujours à masquer son inconfort dans le registre supérieur : si Der Doppelgänger de Schubert profite de cette tension, l’extrait de Christus am Ölberge de Beethoven le montre trop souvent au bord de la rupture.

Mais c’est quand les Prégardien chantent ensemble que l’émerveillement opère le plus. Dans Erlkönig, par exemple, on découvre, avec surprise, le découpage des différents personnages : le Narrateur est confié alternativement à l’un ou l’autre, le Roi des aulnes aux deux à la fois, troublante polyphonie pour une irrésistible et inquiétante séduction.

Dans tous ces arrangements réalisés par Julian, on admire l’art de varier à l’infini l’appariement des voix : simple doublage à la tierce inférieure ou supérieure, subtil jeu de réponses ou d’anticipations, voire savants mélismes à l’aigu autour de la ligne originale, parfois même improvisations. Les contrepoints chorégraphiques, s’ils semblent un peu anecdotiques, ne sont jamais parasites, et la continuité dramaturgique de la soirée est, de toute façon, judicieuse.

Deux moments de grâce : pendant la « Ballade » d’Alfonso und Estrella, un Julian assis par terre, redevenant soudain le petit garçon émerveillé d’écouter son père lui raconter de fabuleuses histoires ; et le tableau final des quatre artistes, réunis pour un Im Abendrot respirant le bonheur d’être au monde ensemble. Sous les doigts délicats de Lars Vogt, le piano se pare alors du souvenir des sonorités de l’orchestre que le chef a su convoquer avec flamme et autorité, tout au long de la soirée.

Un très beau programme (disponible sur Arte Concert jusqu’au 25 janvier 2022), dont nous avons conscience d’avoir été le spectateur privilégié dans la salle. Un seul regret : l’absence des textes et traductions, et même de sous-titres à la diffusion, alors que ce passionnant Père et fils mériterait une compréhension littéraire plus pointue.

THIERRY GUYENNE

PHOTO © DR

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