Comptes rendus Puissante Création à Martina Franca
Comptes rendus

Puissante Création à Martina Franca

15/09/2021

Palazzo Ducale, 31 juillet

La devise de l’édition 2021, « Fiat lux », met explicitement Die Schöpfung (La Création) de Haydn au centre de l’affiche du Festival. Le choix de la langue italienne (La Creazione) est un hommage au concert historique de 1988, programmé à Martina Franca par le regretté Rodolfo Celletti, dans une nouvelle traduction de Dario Del Corno, avec le jeune Fabio Luisi au pupitre. Si, trente-trois ans plus tard, nous retrouvons le même chef, le texte a été révisé par le propre fils du traducteur, Filippo, et, surtout, l’oratorio est proposé, cette fois, en version scénique.

Évitant toute illustration littérale, Fabio Ceresa convoque des images à la hauteur de l’impact de la musique. Le chaos originel est ainsi figuré par un amas indistinct de masses diverses et de corps nus, dont émerge un œuf noir géant, qui se rompt au moment précis, et fameux, de la phrase « E la luce fu » (« Und es ward Licht »). En sort Dieu, sous les traits d’un adolescent androgyne, en habit XVIIIe.

En une géniale analogie entre création divine et création humaine – c’est-à dire artistique –, Fabio Ceresa fait correspondre, à chaque jour, un des arts libéraux : architecture, poésie, musique, danse, peinture, sculpture. Le septième jour, de l’union d’Adam et Ève se recompose un œuf, d’où Dieu va pouvoir renaître, passant du statut de sujet à celui d’objet de sa propre création. Le couple originel engendre trois autres couples, illustrant trois combinaisons possibles (homme/femme, femme/femme et homme/homme), en s’inspirant manifestement du discours d’Aristophane dans Le Banquet de Platon.

Une des forces du spectacle est de célébrer « un catholicisme de la joie et non de la pénitence », en proposant, sans dogmatisme et comme l’air de rien, la vision d’un Haydn enfant des Lumières. Une lecture qui va de pair avec la haute idée que le metteur en scène se fait de la création artistique, assimilée à un véritable rite tendant au divin.

Fabio Ceresa a travaillé en étroite collaboration avec Mattia Agatiello (et huit superbes danseuses et danseurs de sa compagnie Fattoria Vittadini) et Gianluca Falaschi (secondé par Gianmaria Sposito). Les propositions du chorégraphe et du costumier, qui nous avaient semblé si gratuites, la veille, dans L’Angelica, révèlent ici, en s’intégrant dans un projet d’une grande cohérence, toute leur inventivité et leur force d’évocation.

La direction, aussi puissante que soucieuse du détail, de Fabio Luisi se coule dans cette dramaturgie, à la tête d’un orchestre du Teatro Petruzzelli de Bari en grande forme, et du chœur Ghislieri, invisible – car placé dans le noir, de part et d’autre du plateau –, mais superbe de fondu et de netteté.

Des trois archanges, aux tenues aussi spectaculaires que sensuelles, on détachera l’Uriele solaire du ténor Vassily Solodkyy, au phrasé raffiné. Plastiquement impressionnant, le Raffaele du baryton Alessio Arduini dispose d’une bonne voix, longue et sonore, mais cette partie de basse est trop grave pour lui. Quant à Rosalia Cid, elle prête à Gabriele son soprano solide, auquel il ne manque qu’un peu plus de suspension dans l’aigu et de liberté dans les vocalises pour convaincre totalement.

Que des éloges, enfin, pour les Adamo et Eva, aussi agréables à entendre qu’à regarder, de Jan Antem et Sabrina Sanza, le baryton moelleux de l’un répondant parfaitement au soprano fruité de l’autre.

Le spectacle phare de cette édition 2021.

THIERRY GUYENNE

PHOTO © CLARISSA LAPOLLA

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