Comptes rendus Purcell bâtard à Anvers
Comptes rendus

Purcell bâtard à Anvers

01/05/2021

Opera Vlaanderen/https://operaballet.be, 24 avril

Présenté initialement comme une nouvelle production de Dido and Aeneas, le spectacle de l’Opéra de Lyon, en mars 2019 (voir O. M. n° 150 p. 45 de mai), pouvait provoquer une sérieuse irritation. En effet, le concept du metteur en scène hongrois David Marton prenait surtout prétexte de l’œuvre de Purcell, réduite à la portion congrue, pour donner la plus large place aux improvisations du guitariste de jazz finlandais Kalle Kalima (né en 1973), complétées par de longs textes parlés tirés de Virgile, pour un « mixte » finalement plus lassant qu’exaspérant.

Les circonstances de la reprise par l’Opera Vlaanderen, coproducteur, modifient les choses : David Marton a, cette fois, filmé en direct, pour l’élaboration d’un nouveau produit, mieux réparti. On y retrouve, avec plaisir, une bonne partie de l’acte I, laissée intacte, sur fond de paysages méditerranéens et de sculptures antiques, alors que le II commence par laisser le champ libre à la chanteuse « animiste » Erika Stucky, dont nous sont épargnés les impitoyables raclements de pelle sur le plateau. Ce qui permet d’apprécier pleinement le duo Dido/Aeneas (« Behold, upon my bending spear ») et le grand air du héros (« Jove’s commands shall be obey’d »).

Le cadre d’ensemble est renforcé par le film, qui suit quasiment à la loupe le travail des deux archéologues, Jupiter et Juno, grattant leurs cailloux, et exhumant smartphone, souris d’ordinateur, et entremêlement de câbles divers, pour terminer par la descente de Dido dans sa tombe, avec le produit de ces fouilles.

Les choses se gâtent pourtant de nouveau, au dernier acte. À côté du bref îlot de bonheur qu’est le duo Dido/Belinda (« Your counsel all is urged in vain »), malheureusement suivi d’une désastreuse interpolation au milieu de ce sublime final, l’intrigue se traîne interminablement en longs dialogues – textes en anglais et en français, avec sous-titres en néerlandais, pour une durée totale de deux heures.

Les trois interprètes principaux passent assez heureusement l’épreuve de l’écran. La belle et très volontaire Dido d’Alix Le Saux conclut par un « Thy hand, Belinda… When I am laid in earth » de qualité, qui parviendrait presque à l’émotion. Guillaume Andrieux assume, plus sobrement qu’à la scène, son Aeneas légèrement en retrait, alors que Claron McFadden donne une Belinda attachante.

Le parfait chœur de l’Opera Vlaanderen, l’excellent B’Rock Orchestra, sous la direction du chef belge Bart Naessens, assument la tâche ingrate d’exécuter dans l’ombre ce qui leur reste concédé de la partition originale (avec, pourtant, l’ajout paradoxal de deux autres airs de Purcell). On peut, en revanche, rester moins sensible à la prestation auditivement éprouvante – et visuellement envahissante – d’Erika Stucky, dans un type d’emploi qu’une Cathy Berberian assurait autrefois à un tout autre niveau.

On continue donc de s’interroger sur la justification et l’avenir de ce produit par nature bâtard, qui laisse également frustrés ses deux publics potentiels.

FRANÇOIS LEHEL

PHOTO © ANNEMIE AUGUSTIJNS

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