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Comptes rendus

Quadrature du cercle (éditorial du numéro d’octobre)

24/09/2019

Les réactions de la presse et du public à la nouvelle production de La traviata, à l’affiche du Palais Garnier depuis le 12 septembre – nos délais de bouclage du magazine papier nous ont empêchés d’en rendre compte dès ce numéro d’octobre, mais le compte rendu de Michel Parouty est accessible sur notre application –, en disent long sur la tâche qui attend Alexander Neef. Même s’il n’entrera officiellement en fonctions qu’à l’été 2021, le nouveau directeur de l’Opéra National de Paris est évidemment en train de programmer ses futures saisons et on imagine son dilemme sur la voie à emprunter en matière de mise en scène.

Pour un festival, lieu par essence ouvert à l’expérimentation, la question ne se pose pas – ou, du moins, pas dans les mêmes termes. Qu’on en pense du bien ou du mal, les Carmen et Tosca « relues » respectivement par Dmitri Tcherniakov et Christophe Honoré avaient leur place à Aix-en-Provence. Elles ne l’auraient pas eue dans un théâtre de répertoire, obligé de remettre ses productions régulièrement à l’affiche, avec les contraintes que cela implique.

Car la mise en scène de La traviata par Simon Stone, comme celle de Christoph Marthaler, déjà au Palais Garnier, en 2007, exige, en raison de la virtuosité de sa réalisation, une longue période de répétition, inenvisageable dans le cadre d’une reprise. Surtout si l’on y distribue des « stars » que l’on sait enclines à arriver l’avant-veille, voire la veille, de la première !

Se pose, de surcroît, le problème du physique des chanteurs principaux, ainsi que celui de leur disponibilité à se glisser dans le « concept » du metteur en scène. Toutes les sopranos sont-elles capables, ou ont-elles envie, de se transformer en Kim Kardashian (pour Simon Stone) ou en Édith Piaf (pour Christoph Marthaler) ?

Autre enjeu, que Michel Parouty résume très bien en conclusion de son compte rendu : la pérennité de la transposition spatio-temporelle de l’intrigue. Nous vivons, en effet, dans un monde en perpétuel mouvement, constamment à l’affût de nouveauté, qui envoie ses idoles et ses joujoux au rebut avec la même promptitude qu’il a mise à les créer ou à les encenser.

Que représenteront, par exemple, Kim Kardashian et son univers dans dix ou quinze ans, au moment où Alexander Neef ou son successeur auront envie de reprendre La -traviata ? Impossible de le savoir, mais, me direz-vous, il sera toujours possible de passer commande d’une nouvelle production. Sauf qu’il est anormal, dans un théâtre de répertoire, de remplacer les mises en scène à intervalles rapprochés, sans se donner la possibilité de les amortir. Trois Traviata en douze ans à l’Opéra de Paris, c’est trop, surtout quand on imagine combien chacune a coûté !

Où est la solution, alors ? Depuis le début de son mandat, Stéphane Lissner a habilement alterné audace et convention : La traviata et La Bohème en version « choc », Il trovatore et Tosca en version « passe-partout ». L’inattendu et le sophistiqué d’un côté, l’anonyme et le « facile à reprendre » de l’autre. Si les décors et les costumes de La Bohème, on ne peut plus traditionnelle, mise en scène par Jonathan Miller en 1995, n’ont pas été détruits, on peut même concevoir de les programmer en alternance avec la station spatiale de Claus Guth, en fonction des chanteurs et du temps de répétition dont on dispose !

En réalité, la question est très simple : est-il possible, pour un metteur en scène, de contenter tout le monde, les tenants de la tradition comme ceux de la modernisation à tout crin ? Est-il possible d’éviter à la fois la tarte à la crème de la transposition à notre époque et les pièges de la simple reconstitution historique ? Je réponds oui, sans hésiter. La traviata peut se transformer en objet d’une force théâtrale inouïe dans des décors et des costumes XIXe (voir Jorge Lavelli). Tout comme Le nozze di Figaro dans l’Espagne de la fin du XVIIIe (voir Giorgio Strehler).

Entre les deux, la tentation est grande de se rabattre sur une forme de neutralité atemporelle, qui a l’avantage de ne heurter personne. Je n’ai personnellement rien contre, à condition qu’un véritable travail de direction d’acteurs soutienne la démarche. Sinon, c’est l’anonymat et l’ennui garantis !

Bref, bon courage à Alexander Neef. Diriger un théâtre de répertoire aujourd’hui, est une véritable quadrature du cercle, surtout dans une ville comme Paris, où différents publics s’opposent radicalement. Espérons qu’il saura les réconcilier.

RICHARD MARTET

PHOTO : Pretty Yende dans La traviata. © OPÉRA NATIONAL DE PARIS/CHARLES DUPRAT

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