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Comptes rendus

Salle enthousiaste pour Béatrice Uria-Monzon à Paris

16/12/2021

Salle Gaveau, 13 décembre

Antoine Palloc, indispensable cheville ouvrière de « L’Instant Lyrique », fonce sur son piano, s’installe prestement et sifflote le thème de l’Anda Jaleo de Federico Garcia Lorca. Tout aussi vive, Béatrice Uria-Monzon le suit et se lance dans cette vigoureuse chanson. Il n’en faut pas plus pour chauffer la salle.

Dans cette humide nuit parisienne de fin d’automne, la température monte de plusieurs degrés et l’hygromètre s’effondre. C’est que notre Carmen nationale joue à fond l’hispanité, dans sa seyante tenue en noir et blanc qui lui donne du chic et une touche d’exotisme distancié. Tout au long de son récital entièrement hispanique, la soprano (anciennement mezzo) française vivra intensément, dans sa voix et tout son corps presque jamais en repos, les affects des textes et des musiques qu’elle défend avec une émouvante sincérité et sans la moindre once de complaisance.

Composer un programme entier de chansons espagnoles et sud-américaines ne va pas de soi, tant ce répertoire est plutôt mal connu sous nos cieux. Les pièces de Garcia Lorca sont forcément proches de la musique populaire, puisqu’il s’agit, en fait, des arrangements de musiques recueillies par le poète assassiné.

Le Poema en forma de canciones de Joaquin Turina est plus sophistiqué : le cycle s’ouvre par une magnifique Dedicatoria pour piano seul, pendant laquelle la chanteuse fixe intensément son partenaire, comme si elle voulait se pénétrer des harmonies de l’instrument. Dans ces pages moins populaires, on perçoit bien les qualités de Béatrice Uria-Monzon, son imagination dans le phrasé, le dosage méticuleux du volume, la beauté d’une voix toujours saine et d’un timbre chaleureux.

Les mélodies de Carlos Guastavino, moins complexes et animées d’un beau sens mélodique, sollicitent le souffle de l’interprète. Les trois chansons d’Alberto Ginastera, d’une musicalité très sobre, tragique même, requièrent une concentration parfaite. À rebours de cette gravité, voici maintenant un air de « zarzuela », La marchenera de Federico Moreno Torroba. La théâtralité reprend le dessus, mais on notera que cet air prétendument léger est, peut-être, le morceau qui exige les moyens vocaux les plus poussés.

Les Tonadillas d’Enrique Granados, tout comme son petit cycle de La maja dolorosa, sont composées de pièces très brèves qui demandent de fixer une ambiance, un portrait psychologique, en moins de deux minutes. C’est dire à quel point il faut posséder un style net, cursif et bien frappé. Il en va un peu de même dans les chansons de Fernando Obradors, où le ton le plus expressif voisine avec la plus ébouriffante démonstration de virtuosité vocale.

Ce tour du monde hispanique ne peut se terminer qu’à Paris, avec la « Habanera » et la « Séguedille » de Carmen, le rôle emblématique de Béatrice Uria-Monzon. Le public n’attend que cela. Les deux « tubes » sont chantés avec distance, presque avec humour, mais un art très dépouillé, une prononciation parfaite et un registre aigu insolent.

Pour les bis, la salle enthousiaste a droit au folklorique El vito d’Obradors, et à deux chansons de Xavier Montsalvatge – étincelante conclusion d’une cantatrice en grande forme, et d’un duo animé d’une belle complicité.

JACQUES BONNAURE

PHOTO © OLIVIA KAHLER

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