Comptes rendus Salomé plus symbolique que réaliste à Milan
Comptes rendus

Salomé plus symbolique que réaliste à Milan

15/03/2021

Teatro alla Scala/Rai 5,20 février

Le 23 février 2020, la Scala fermait ses portes, suite à l’explosion de l’épidémie de Covid-19. Les répétitions de Salome étaient alors en cours, dans la perspective d’un lever de rideau, le 8 mars. Un an plus tard, dans un contexte sanitaire encore incertain, le temple milanais tente de relancer son activité, en partant du point où il s’était arrêté.

Voici donc la Salome mise en scène par Damiano Michieletto, première nouvelle production proposée par le théâtre depuis sa timide réouverture, en juillet dernier. Mais sans public dans la salle, pour le seul bénéfice des caméras qui l’ont filmée, le 19 février, avec une double retransmission à la clé, le lendemain : à la télévision sur Rai 5 et en streaming sur RaiPlay.

Damiano Michieletto situe l’action dans un contexte bourgeois, abstrait et contemporain. Le décor est une simple perspective en noir et blanc, dessinée par des parois coulissantes qui laissent entrevoir aussi bien le banquet en cours au palais, au lever du rideau, que des images de l’enfance de l’héroïne. Au plafond, une ouverture circulaire, d’où pend une sphère brillante (la Lune) ; au sol, exactement en dessous, une autre ouverture, représentant la citerne-prison de Jochanaan, partiellement couverte de terre sombre.

Rien de neuf, là-dedans, ni dans le rapprochement entre les destins de Salome et Hamlet : deux histoires d’enfants victimes de mères  qui, après s’être débarrassées de leur mari, ont convolé avec leur beau-frère. Damiano Michieletto nous montre, en flash-back, le meurtre du premier époux d’Herodias, Jochanaan devenant l’équivalent du Spectre shakespearien, chargé d’éclairer les ténèbres entourant le passé de la princesse, en lui révélant la vérité sur la mort de son père.

Le rapprochement, pourtant, a ses limites. Car Salome déborde d’une sensualité qui, dans Hamlet, demeure marginale. Damiano Michieletto ne néglige pas cette thématique essentielle, mais s’en empare de manière partielle, en se focalisant sur les violences subies par l’héroïne pendant son enfance (une fillette est régulièrement présente en scène).

En découle une Salome gauche et craintive, n’ayant plus rien à voir avec la séductrice voluptueuse, consciente de sa beauté et résolue à s’en servir pour parvenir à ses fins, décrite par Strauss. Ni avec la jeune femme habitée par une passion perverse, voire hystérique, pour le prophète.

Dans ces conditions, on ne s’étonne pas de la transformation de sa « Danse des sept voiles » en allégorie des abus sexuels subis. Six danseurs, vêtus du même complet gris rayé que le tétrarque, le visage recouvert du même masque, harcèlent Salome, jusqu’au moment où leur victime endosse une robe d’où s’échappent de longs fils rouges. Le vêtement, de plus en plus lacéré, est ensuite happé vers le haut, comme pour expliciter la violence de la défloration.

Une mise en scène plus symbolique que réaliste, donc, comme le confirment les instants suivant la décapitation de Jochanaan. Damiano Michieletto dévoile d’abord une reproduction de L’Apparition, le célèbre tableau de Gustave Moreau (Paris, musée d’Orsay), accompagnée de quelques anges de la mort et d’une pluie de plumes noires. Les parois du palais viennent ensuite écraser Salome, comme si elles l’enfermaient dans une tombe pour l’éternité.

Si l’on ajoute un Page métamorphosé en vieille gouvernante omniprésente, mémoire vivante des violences familiales, on comprendra pourquoi le propos de Damiano Michieletto, par-delà quelques images d’un réel pouvoir de suggestion, ne convainc pas entièrement.

Victime d’un malaise une semaine avant la première, et contraint au repos à sa sortie de l’hôpital, Zubin Mehta a laissé la place à Riccardo Chailly, qui a terminé les répétitions et dirigé la représentation filmée.

D’emblée, on admire la manière dont le directeur musical de la Scala réussit à équilibrer le rapport sonore entre l’orchestre, réparti sur la surface du parterre, et le plateau, malgré les quelque trente mètres qui les séparent. Puis, on succombe à une lecture rendant justice à la phénoménale richesse de la partition, dans toute sa variété de coloris et d’accents.

Fidèle au propos de la mise en scène, Elena Stikhina dessine une Salome résolument plus victime que bourreau. À ses côtés, Wolfgang Koch campe un Jochanaan imposant, mais trop monolithique et avare de nuances.

Sans être irréprochables sur le plan vocal, Gerhard Siegel et Linda Watson ont le physique idéal pour Herodes et Herodias : deux époux âgés, acariâtres, ne se souvenant même plus de la passion qui, jadis, les avait unis jusqu’au crime. Homogène, mais sans rien d’exceptionnel, le reste de la distribution.

PAOLO DI FELICE

PHOTO © TEATRO ALLA SCALA/BRESCIA/AMISANO

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