Comptes rendus Samson vocalement somptueux à Berlin
Comptes rendus

Samson vocalement somptueux à Berlin

21/12/2019

Staatsoper Unter den Linden, 3 décembre

Combien de ces connaisseurs autoproclamés, hurlant à la mort devant chaque spectacle signé Dmitri Tcherniakov, Krzysztof Warlikowski ou Barrie Kosky, pour imposer à une majorité certes le plus souvent indifférente, la voix fracassante de leur minorité, rêvent-ils, plus ou moins secrètement, de revenir à l’époque, censément bénie, précédant l’avènement du metteur en scène ? L’esthétique de cette nouvelle production de Samson et Dalila, confiée au réalisateur argentin Damian Szifron par la volonté du tout-puissant Daniel Barenboim, renvoie à cette préhistoire.

Sans doute faut-il être absolument novice en matière de théâtre lyrique, et donc un peu naïf, pour souhaiter une « tonalité aussi réaliste que le budget le permet ». Plutôt que de s’aventurer dans la direction, très irréaliste, en vérité, d’une reconstitution de l’Antiquité biblique digne des plus récents « blockbusters » historiques, Étienne Pluss – le vaisseau spatial de La Bohème selon Claus Guth, c’était lui – a, semble-t-il, préféré puiser dans ses souvenirs de l’âge d’or du péplum, que les ateliers de la Fondation des Opéras de Berlin, renouant avec un savoir-faire peut-être tombé en désuétude à l’heure des plateaux nus, ressuscitent au moyen d’une débauche de carton-pâte – ah ! la grotte de Dalila !

Peu importe que la mise en scène proprement dite ne soit pas aussi littérale qu’il y paraît, Szifron tentant, par exemple, avec force références picturales, de montrer la chute de Samson, héros de l’Ancien Testament, comme une préfiguration de la Passion du Christ, dès lors que le ridicule involontaire disqualifie, par accumulation – costumes, chorégraphie, pantomime gore, et jusqu’à l’impossible effondrement du temple, il est vrai raté neuf fois sur dix –, ce premier essai, que quelques touches de second degré auraient éventuellement pu sauver d’une irrémédiable ringardise.

Par bonheur, les chanteurs sont suffisamment crédibles physiquement pour éviter de sombrer dans les stéréotypes caricaturaux immanquablement associés à l’opéra de papa. Brandon Jovanovich et Elina Garanca forment même un couple éponyme à la plastique hollywoodienne, dont le ramage se rapporte au plumage.

Bien plus à l’aise en Samson qu’en Énée, le ténor américain sait bander les muscles aussi bien que s’adoucir, et atteindre, quoique sans plus d’éclat, les hauteurs les plus exposées, laissant sourdre la fragilité de ce parangon de virilité, dans un français toujours intelligible.

Sa partenaire a fait, sur ce plan, des progrès notables – même si la diction se relâche à la fin du II –, et ensorcelle par la distinction de la ligne, qui s’épanouit aussi naturellement dans un registre de poitrine sombre et velouté, que la tessiture l’oblige à solliciter presque constamment, que dans un aigu d’une tenue et d’une beauté renversantes.

Est-ce bien le même Michael Volle qui se débattait contre Nabucco, l’été dernier, à Zurich, et tranche ici dans le vif, Grand Prêtre de Dagon en voix souvent tonitruante ? Une fois maîtrisé un vibrato devenu un handicap rédhibitoire dans le répertoire italien, Kwangchul Youn n’est pas moins mordant, dans la brève apparition d’Abimélech.

Censé marquer le retour en Europe du vénérable Samuel Ramey (77 ans), le Vieillard hébreu échoit finalement à un Wolfgang Schöne (79 ans) non moins chenu, désormais réduit à ânonner, et gâcher l’un des plus beaux passages de la partition.

S’il ne frappe pas aussi fort que dans Salome, où il avait remplacé Christoph von Dohnanyi, suite aux désaccords du maestro avec Hans Neuenfels, Thomas Guggeis – alternant avec Daniel Barenboim pour deux des sept représentations – fait, à 26 ans à peine, une nouvelle démonstration de sa maîtrise de l’orchestre.

Le drame connaît certes des baisses de tension, la « Bacchanale » évitant le clinquant au point de manquer de vivacité rythmique, mais cette baguette décidément surdouée parvient à attiser les braises de l’épopée, qu’une mise en scène en forme de regrettable erreur de débutant ensevelit, bien malgré elle, sous des monceaux de poussière du désert.

MEHDI MAHDAVI

PHOTO © MATTHIAS BAUS

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