Comptes rendus Savoureux Péchés à Paris
Comptes rendus

Savoureux Péchés à Paris

19/06/2021

Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 1er juin

Sixième collaboration entre Bertolt Brecht et Kurt Weill, le « ballet chanté » Die sieben Todsünden (Les Sept Péchés capitaux) a été créé au Théâtre des Champs-Élysées, le 7 juin 1933. Quelques mois après la prise de pouvoir d’Adolf Hitler, les deux artistes mis à l’index avaient dû s’exiler.

L’œuvre narre la triste épopée d’une jeune femme qui traverse les États-Unis, dansant ici, s’offrant là à quelque petit bourgeois plus ou moins généreux, sa famille peu scrupuleuse comptant sur elle pour acheter une maison au bord du Mississippi. Chaque ville a son péché et, n’ayant guère que son corps à vendre, Anna y découvre une société capitaliste, rongée par la corruption, où l’âpreté brechtienne se double d’une énergie lasse.

Un simple échafaudage, doté d’un écran qui surplombe la scène, et quelques accessoires marquent le décor, où les vidéos évoquent l’essentiel. Des paysages sauvages jusqu’à la traversée des métropoles, sans oublier les lumières criardes d’une salle de strip-tease, le voyage s’effectue à un rythme trépidant autant que saccadé, parfait écho d’une musique alternant brillamment marche, fox-trot, shimmy, valse, etc.

Dans sa mise en scène, Jacques Osinski opte pour un face-à-face entre deux sœurs supposément siamoises (l’une chante, l’autre danse), que tout oppose : retenue, calme et douceur pour l’une, exubérance, révolte et résignation pour l’autre. À travers leurs rares affrontements se noue progressivement un dialogue, ou plutôt un monologue intérieur, tant Anna semble se regarder agir, et égrène ses souvenirs.

À la différence de Noémie Ettlin, excellente dans l’énergie féline ou la lascivité de ses danses, Natalie Pérez, conservant un sourire ineffable, déambule avec la tranquillité de celle qui a fait la paix avec elle-même. L’histoire est sans doute, ici, celle d’un bilan indulgent : au fond, Anna a fait ce qu’elle a pu, mais les dés étaient pipés.

Si la voix de Natalie Pérez manque de puissance, elle joue habilement du double registre de la chanson et de l’opéra, donnant son meilleur dans les trois Songs ajoutés au spectacle – Youkali, surtout, que la mezzo française magnifie d’une discrète mélancolie, assortie d’une diction parfaite, qui donne à chaque mot la musicalité souhaitée.

Bois qui susurrent, ostinato des cordes… L’Orchestre de Chambre Pelléas n’est pas en reste, superbe de clarté, tout en nuances et précision, sous la direction inspirée de Benjamin Levy. Abrité sous l’écran, le quatuor familial joue aux cartes, boit, lit le journal, commente ce voyage sordide. La qualité vocale est là, grinçante, presque macabre. L’on y distingue, notamment, la Mère de Florent Baffi, basse sonore et bien projetée.

De cette brève soirée se dégage une émotion à la fois amère et sereine, regard apaisé posé sur un destin contraire.

JEAN-MARC PROUST

PHOTO © PIERRE GROSBOIS

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