Comptes rendus Semiramide réussit son retour à Pesaro
Comptes rendus

Semiramide réussit son retour à Pesaro

21/08/2019

Vitrifrigo Arena, 11 août

Pour la troisième fois de son histoire, le « Rossini Opera Festival » (« ROF ») de Pesaro remet Semiramide sur le métier. Après Hugo de Ana (1992) et Dieter Kaegi (2003), il revient à Graham Vick, maître d’œuvre de quelques mémorables productions à grand spectacle in loco, de mettre en scène les quelque quatre heures d’une édition absolument exhaustive de la partition.

Contrairement à son habitude, Graham Vick ne cherche pas à donner de ce « melodramma tragico » une vision historique ou politique à connotation contemporaine, préférant en révéler les arrière-plans psychologiques. Sa Semiramide est une femme de pouvoir, torturée par le souvenir de l’enfant qu’elle a abandonné et sacrifié à sa propre ascension. Dépendante sexuellement d’Assur, elle lutte contre son ascendant, comme le montre bien leur duo de l’acte II.

Le chemin initiatique d’Arsace va le conduire à une double révélation, celle de son identité princière et de sa féminité. Jouant sur l’ambiguïté entre genre du personnage et sexe de l’interprète, le metteur en scène double l’attirance incestueuse de Semiramide envers lui de quelques échos saphiques, et rappelle, à travers sa garde rapprochée d’Amazones, le mythe d’une reine guerrière.

Plus qu’un véritable décor, la scénographie abstraite de Stuart Nunn crée un espace mental dominé par l’omniprésence du regard du feu roi Nino et les références à l’enfance : dessins, petit lit où viennent se réfugier les personnages en détresse, apparitions d’un énorme ours en peluche. De façon plus pittoresque, l’étendue du royaume assyrien est évoquée par des costumes d’inspiration cosmopolite du plus bel effet, les mages du livret étant transformés en un groupe de sâdhus, dont Oroe est le gourou.

On se doute que cette vision très inattendue n’a pas été acceptée de façon consensuelle par le public de la première, qui a adressé quelques huées au metteur en scène.

Dans le rôle-titre, Salome Jicia joint à une technique hors pair une projection exceptionnelle, ce qui lui permet d’intégrer sans faillir appoggiatures et ornements à sa ligne vocale. Son incarnation mêle subtilement sensibilité et autorité, pour une héroïne d’une présence impressionnante.

Varduhi Abrahamyan ne joue pas exactement sur le même niveau. Sa voix manque de profondeur dans le grave pour soutenir la tessiture d’Arsace, ce qui l’oblige à transposer systématiquement ses variations dans l’aigu. Surtout, son style relâché peine à communiquer la noblesse qu’appellerait son personnage. Du coup, Varduhi Abrahamyan ne donne sa pleine mesure que dans les duos, où son timbre chaleureux se marie avec bonheur avec celui de Salome Jicia.

Nahuel Di Pierro a encore progressé depuis sa prise de rôle à Nancy, en 2017. La voix est désormais affirmée sur toute l’étendue de la tessiture et, si la vocalisation peut encore gagner en précision et en souplesse, la scène de la folie d’Assur s’avère une belle réussite. On pensait qu’Antonino Siragusa n’avait plus à offrir à Idreno qu’un timbre acidifié et des suraigus appuyés, mais il joue encore d’une conduite de la ligne qui lui permet de valoriser, dans son deuxième air, ce qu’il reste de ses beaux moyens de tenore di grazia.

Carlo Cigni offre à Oroe toute l’autorité de sa solide basse noble, tandis que la jeune Martiniana Antonie, dans son élégant costume de princesse indienne, parvient à faire exister les quelques interventions d’Azema. La distribution est complétée par le puissant Nino de Sergey Artamonov et l’efficace Mitrane d’Alessandro Luciano.

Le grand triomphateur de la soirée reste Michele Mariotti qui, à la tête de l’Orchestra Sinfonica Nazionale della Rai, remarquable de finesse, et de l’excellent Coro del Teatro Ventidio Basso, donne une lecture puissamment architecturée, toujours attentive au moindre détail instrumental et au soutien de son plateau vocal.

La façon dont le chef intègre l’ensemble des scènes de transition avec les numéros musicaux, dans un continuum dramatique ininterrompu, est admirable. En grand « maestro concertatore », Michele Mariotti porte, au-delà des quelques limites de la distribution, cette Semiramide à un succès amplement mérité.

ALFRED CARON

PHOTO © STUDIO AMATI BACCIARDI

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