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Comptes rendus

Splendeurs musicales d’Otello à Monte-Carlo

01/05/2019

Salle Garnier, 21 avril

L’Opéra de Monte-Carlo conclut sa saison 2018-2019 par une nouvelle production confiée au jeune metteur en scène Allex Aguilera, pour qui « Otello, c’est l’Everest des opéras ». Son choix de ne pas situer l’action dans une période historique déterminée vise à permettre au public de s’identifier au drame. Ces intentions, les réalise-t-il entièrement ?

Les costumes élégants dessinés par Françoise Raybaud (chasubles des choristes dans un camaïeu de grège, turbans de couleur beige qui donnent une forte unité à l’ensemble, symphonie de rouge pour les robes de Desdemona et d’Emilia et les tuniques des nobles vénétiens), les éclairages saisissants et contrastés de Laurent Castaingt s’accommodent du parti d’enfermer l’action en un décor unique, conçu par Bruno de Lavenère : la cour intérieure d’un palais suggéré par un escalier et une passerelle d’où Iago mène le bal.

C’est efficace au premier acte, précédé d’une vidéo pour faire ruisseler la tempête. C’est envoûtant pour le feu de joie, dont l’embrasement réel demeure comme un symbole des passions au cours du duo d’amour.

Dans les trois actes suivants, la réussite s’amenuise, puis s’effiloche. Pourquoi nul jardin au II, alors que Iago évoque les frondaisons sous lesquelles Desdemona a coutume de se promener à l’heure brûlante ? Pourquoi le IV a-t-il lieu dans la même cour du palais, sans chambre ni lit, mais un petit bassin dans lequel la jeune femme, assistée d’Emilia, achève ses ablutions vespérales ? Otello ne l’étouffe pas (faute d’oreillers ?) mais l’y noie (c’est lustral). Il y prend également un bain de pieds, lustral aussi sans doute.

Quant à la direction d’acteurs, on peut se demander si Otello se réduit à un drame de l’alcoolisme. Certes, Cassio ne tient pas le vin. Persiste-t-il dans son addiction au point de boire à la bouteille pendant le reste de la pièce ? Iago doit-il asséner son « Credo » blasphématoire une coupe à la main (qu’il jette et qui tombe sur le plateau avec un bruit mat de gobelet en plastique) ?

Ces déterminations n’occultent pas la splendeur d’une exécution de la partition difficilement égalable. À la tête de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Daniele Callegari allie la gravité du drame et la fluidité du discours musical continu ; surtout, il évite toute grandiloquence. Dans le finale concertant du III, donné dans la version remaniée par Verdi, en 1894, pour l’Opéra de Paris, les solistes et les chœurs atteignent la grandeur de l’ensemble dans la parfaite lisibilité de chaque partie.

Son exemplaire carrière, partie du chant rossinien et même de Boieldieu, permet à Gregory Kunde une interprétation à la fois subtile et poignante du Maure déraciné, qui ne fait confiance à personne et finit par s’en remettre à un misérable. Sans jamais esquiver les passages de vaillance (un « Esultate ! » strictement vocalisé sur l’appoggiature barrée de « l’uragano »), ni de violence (le contre-ut sur « quella vil cortigiana »), il incarne un Otello noble et meurtri.

Maria Agresta, Desdemona intense et recueillie, déploie le charme d’une voix ductile, capable de pianissimi séraphiques et des accents les plus pathétiques. Sa « Chanson du saule » et son « Ave Maria » comptent parmi les plus touchants. George Petean sait plier une infaillible voix de bronze aux exigences de son venimeux personnage ; le « Rêve » de Iago est subtilement distillé. Ioan Hotea, ténor impeccable, replace Cassio au centre de l’intrigue.

Comme Roderigo, incarné par l’excellent Reinaldo Macias, Emilia est un personnage décisif, puisqu’il lui revient de dire enfin la vérité et de démasquer le fourbe. Le beau mezzo de Cristina Damian lui confère sa dignité. In-Sung Sim et Jean-Marie Delpas, aux magnifiques voix graves, sont les soutiens irréprochables de l’accomplissement tragique. Et l’on ne remarque plus les ajouts superflus.

PATRICE HENRIOT

PHOTO © OMC/ALAIN HANEL

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