Comptes rendus Titus clément à Rennes, avant Nantes et Angers...
Comptes rendus

Titus clément à Rennes, avant Nantes et Angers

08/03/2020

Opéra, 2 mars

Dans un atrium uniformément noir, ceint d’imposants murs de marbre, où se découpent de larges portes obscures, se dessinent des objets tout aussi sombres. Vaste canapé circulaire, plus tard chaises et table, sans oublier les uniformes de la garde prétorienne de Tito, tout ici impose les ténèbres.

Ce décor évoque l’Antiquité, mais sans exclure une transposition plus moderne, sans doute dans la salle de réception d’une puissante famille. Dans une référence explicite au film Les Damnés (La Caduta degli dei, 1969) de Luchino Visconti, Pierre-Emmanuel Rousseau, à la fois metteur en scène, décorateur et costumier, fait de Vitellia une Baronne Sophie von Essenbeck, trouvant en la soprano italienne Roberta Mameli de troublantes ressemblances avec Ingrid Thulin (rouge à lèvres tranchant avec le visage poudré, cheveux blonds, frisottés et courts).

Mais il y a aussi un souvenir de Pier Paolo Pasolini, quelque chose de mussolinien dans ces chemises noires. Empressé de projets de construction, Tito se fait apporter des maquettes : la rigidité des tours évoque l’architecture fasciste et ses villes nouvelles. Cet empereur, avant d’être bienveillant, fut un despote.

Après l’incendie du Capitole, avec force brûleurs, les murs sont ravagés, carbonisés, détruits, et une fine pluie de cendres envahit la scène, composant un intense tapis funèbre. Sur celui-ci, on trouvera Sesto prostré, tremblant, sanguinolent des tortures qu’il a subies. La clémence a ses limites (côté obscur…).

Si le spectacle marque de sa densité une œuvre plutôt statique, la cohérence visuelle du propos impose parfois une certaine rigidité, dont il faut extraire les corps. D’où, sans doute, nombre de mouvements qui accompagnent les airs, et quelques facilités, les jets de chaises, par exemple, qui n’apportent pas grand-chose à la tragédie.

D’où, aussi, le déshabillé rose vif de Vitellia, qui tente d’imposer la liberté d’une vamp hollywoodienne, dans ce huis clos morbide. Et un surgissement de roses blanches pour accompagner le finale heureux, comme une marque d’ironie bienséante. Car Sesto rougit encore de ses blessures et Publio, d’un coup de revolver, tue Tito.

À ce dernier, Jeremy Ovenden prête les traits d’un empereur non pas débonnaire, mais hésitant, véritablement hésitant, jusque dans sa démarche ou sa manière de balancer son corps. Son Tito sait ce qu’il est, mais pas ce qu’il doit être, troublante – et juste – incarnation. Sur le plan vocal, le ténor britannique délivre un Mozart de belle tenue, servi par un timbre clair, une projection sans faille, comme si, par la pureté du chant, il résolvait les contradictions de l’empereur.

Saisissante dans la composition, Roberta Mameli tire imperceptiblement Vitellia vers la folie, dans une manière de dérangement qui s’impose peu à peu et, là aussi, crée le déséquilibre. Sans doute trop sollicitée au premier acte, la voix est moins en grâce, qui perd en qualité d’émission. Mais si les nuances font défaut, l’expressivité reste entière, qui dit les déchirements.

Le mezzo chaleureux de Josè Maria Lo Monaco confère à Sesto toute son humanité. Le sonore Publio de Christophoros Stamboglis donne au personnage l’autorité voulue, même si l’acteur semble parfois statique, rappel peut-être d’un hiératisme que Tito a renoncé à incarner. Belles compositions d’Olivia Doray, Servilia délicate et fine, et d’Abigail Levis, Annio justement emporté et fier.

Dans la fosse, Nicolas Krüger s’attache à restituer les couleurs et contrastes de la partition, dans une dynamique parfaitement attentive au plateau. Malgré quelques rares déséquilibres entre les pupitres de l’Orchestre Symphonique de Bretagne, cette Clemenza proposée par l’Opéra de Rennes, en coproduction avec Angers Nantes Opéra, mérite toute notre bienveillance.

JEAN-MARC PROUST

PHOTO © LAURENT GUIZARD

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