Opéra, 14 février
En mars 2015 (voir O. M. n° 106 p. 56 de mai), Louis Désiré montait, avec Tosca, sa toute première production dans sa ville natale. En raison de la crise sanitaire, la reprise de ce spectacle n’a pas pu se jouer en présence du public, mais Maurice Xiberras, directeur général de l’Opéra de Marseille, est parvenu à en réaliser une captation vidéo, le 19 février, pour diffusion sur le site du théâtre, du 28 février au 28 mars.
Avant cela, la presse avait été conviée, le 14 février, à ce qui, pour l’atmosphère, s’apparentait davantage à une sorte de pré-générale qu’à une vraie représentation, avec changements de décors, salle allumée, et même un Scarpia se relevant pendant le baisser de rideau du II… Mais peut-être cette ambiance de séance de travail a-t-elle servi la lecture de Louis Désiré, dont le propos était de monter une « Tosca hantée d’un désir de cinéma » et présentant « Puccini comme une sorte de Lars von Trier de l’époque ».
De fait, on pense souvent au « Septième Art » devant tous ces étonnants effets de travelling et de zoom, induits par le décor tournant. Mais c’est bien aussi la magie théâtrale et ses illusions qui sont célébrées ici, avec un refus affiché du réalisme et une certaine liberté par rapport aux didascalies : Cavaradossi ne passe pas au peloton d’exécution, mais est sommairement supprimé ; et Tosca échappe au saut dans le vide, pour venir se lover à l’avant-scène dans les plis du rideau.
L’absence de public autorise, de plus, une véritable prise de possession de l’Opéra : arrivée des journalistes par l’entrée des artistes, découvrant à vue une partie de l’orchestre (harpe, percussions, cloches) dans les loges ou dans la salle ; chœurs invisibles. Un spectacle qui devient, dès lors, la formidable déclaration d’amour d’un metteur en scène au théâtre ayant bercé son enfance.
En fosse, Giuliano Carella parvient, par son savoir-faire et sa flamme, à ne nous faire quasiment pas regretter le grand orchestre puccinien, avec cette réduction pour vingt instruments. Parfaitement à l’écoute des chanteurs, le chef italien sait, après un premier acte un peu timide, les galvaniser pour des deuxième et troisième flamboyants.
Soulignons la pertinence du plateau jusque dans ses moindres rôles, où l’on a plaisir à retrouver les Spoletta, Sacristain et Sciarrone de 2015, mais également à découvrir l’Angelotti puissant de Patrick Bolleire, ainsi que le Berger finement modulé par Émilie Bernou.
Entièrement renouvelé, le trio de tête se montre à la hauteur du défi, aussi crédible physiquement que vocalement. Du révolutionnaire idéaliste qu’est Cavaradossi, le ténor argentin Marcelo Puente a l’allure romantique, comme la fougue juvénile. Et sa voix solaire, parfaitement projetée sans être trop lourde, tient sans faillir les vaillants la dièses de « Vittoria ! », tout en sachant détailler finement ses adieux à la vie.
Le baryton-basse coréen Samuel Youn incarne un Scarpia nuancé, presque amoureux transi au premier acte, mais prédateur sadique et effrayant au deuxième, qui sait plier son instrument conséquent à l’insinuation.
Enfin, grande habituée de Tosca, Jennifer Rowley n’y rencontre aucune difficulté. La soprano américaine est dotée d’une voix sonore, longue et homogène, avec suffisamment d’endurance et de métal pour, au III, affronter sans sourciller le terrible contre-ut sur le mot « lama », suivi de la descente sur deux octaves, et pour soutenir les grands éclats dramatiques du II, tout en retrouvant, dans « Vissi d’arte », de jolies demi-teintes et un impeccable cantabile. Dommage que l’émission très couverte occasionne une diction si pâteuse, réserve minime en regard de la facilité et de la sûreté de l’instrument.
THIERRY GUYENNE
© GNO/ANDREAS SIMOPOULOS