Comptes rendus Traviata macabre pour Olivier Py à Malmö
Comptes rendus

Traviata macabre pour Olivier Py à Malmö

11/12/2018

Opera, 25 novembre

Du chemin de croix de Violetta, Olivier Py fait une danse macabre, grinçante, qui scelle immédiatement le destin de la courtisane. Dans cette nouvelle production de l’Opéra de Malmö (Malmö Opera), à l’extrême sud de la Suède, la mort, omniprésente, détournerait presque les regards de la luxure, évoquée par de brèves étreintes et une chorégraphie plus martiale qu’érotique.

L’univers est ici celui des peintures de James Ensor, bals costumés où se mêlent squelettes et masques, et, plus encore, des représentations du folklore mexicain, entre calaveras (ces friandises en forme de crânes décorés, offertes durant la fête des morts), et Catrina (squelette féminin vêtu d’habits luxueux et d’un chapeau richement orné).

Le spectacle de la vanité morbide est omniprésent. Un squelette géant est animé par des figurants, façon La Fura dels Baus. Plusieurs danseurs, et jusqu’à Violetta elle-même, ont le visage peint, à la manière des calaveras, tandis que les salons s’emplissent de noceurs vêtus de noir, la richesse et la variété des costumes se fondant dans le pressentiment du trépas. Les infinies nuances de noir qui habillent les pécheurs de ce Paris luxurieux sont aussi celles du mur qui masque, dès le Prélude, la scène aux regards.

Mur posé d’emblée, d’un noir intense, travaillé à grands coups de truelle, comme un tableau de Soulages, restituant des traits de lumière, évoquant des troncs d’arbres, serrés, une forêt sombre, sans fin. C’est là que Violetta réside, plus encore que dans ce qui est ensuite dévoilé : un plateau où tournent et s’imbriquent les pièces d’un décor prolifique, protéiforme, entremêlant vastes baies vitrées, chambre d’hôpital avec lit médicalisé, gradins où une trentaine de squelettes jouent aux spectateurs, vastes roues lumineuses symbolisant, un peu trop facilement, l’engrenage du destin, dans un mouvement qui évoque les machineries foutraques d’un Jean Tinguely.

Ces multiples références montrent assez combien l’intention d’Olivier Py est graphique, et comment il parvient ainsi à débarrasser La -traviata de toute chair, pour marquer l’œuvre d’une empreinte cadavérique. Si quelques facilités auraient pu être évitées (les chaises lancées pour marquer la colère), certaines images forcent l’émotion. Ainsi de Violetta se démaquillant, effaçant le crâne peint sur son visage pour découvrir ensuite, avec quelques taches encore marquées (oui, les années sida sont présentes à l’esprit), les stigmates de sa mort prochaine.

Très attendue dans cette prise de rôle, Patricia Petibon, après avoir assuré la première du 17 novembre, a malheureusement déclaré forfait pour les deux représentations suivantes – dont celle à laquelle nous avons assisté –, pour raisons de santé. Rebecca Nelsen, prévue dès le départ en alternance (la série se terminera le 10 février), l’a remplacée.

Arborant, elle aussi, une chevelure d’un roux flamboyant, sa Violetta a une combativité suicidaire, embrassant avec volupté un destin contraire. La voix de la soprano américaine est claire, radieusement projetée, avec des aigus piano qui soulignent la fragilité de la courtisane et d’infinies nuances de délicatesse dans « Addio del passato ».

Son amant brille surtout par ses qualités vocale. Bülent Bezdüz, en effet, peine à imposer un personnage crédible et se trouve le plus souvent emprunté, voire décontenancé par l’incongruité des situations (il sillonne un instant le plateau en moto, veste et casquette de cuir). En revanche, son legato, son aisance dans l’aigu et la souplesse de sa diction confèrent à Alfredo une alliance bienvenue entre l’humain et l’héroïque.

La prestation de Davide Damiani en Germont mérite également d’être saluée, pour son expressivité et sa douce autorité qui rendraient ce père sentencieux presque sympathique. Parmi les seconds rôles, signalons une impeccable Flora et un très beau Grenvil.

Dans la fosse, la direction de Rafael Payare se révèle attentive au plateau, soulignant tantôt la légèreté, tantôt la gravité du propos. Bois et cordes sont irréprochables, mais les cuivres de l’orchestre maison se montrent trop présents, donnant à la partition une emphase qu’elle n’a pas.

JEAN-MARC PROUST

PHOTO : Rebecca Nelsen. © MALIN ARNESSON

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