2 CD Palazzetto Bru Zane BZ 1046
En 1984, le Châtelet affichait La Fille de Madame Angot. Depuis, la capitale n’a plus entendu ce joyau de la musique légère française, et l’on ne peut que le regretter. Cet enregistrement remettra-t-il les pendules à l’heure ? On le doit au Palazzetto Bru Zane qui, du 16 au 20 février 2021, a confié au studio le titre le plus connu de Charles Lecocq (1832-1918).
À l’époque où la grande opérette classique avait droit de cité sur les scènes françaises, La Fille de Madame Angot figurait parmi les ouvrages favoris du public. À juste titre. Le livret de Clairville, Paul Siraudin et Victor Koning, situé dans un cadre historique revu de manière humoristique et pittoresque – le Directoire –, n’hésite pas à mettre en scène des personnages ayant réellement existé (Ange Pitou, dont, en 1850, Alexandre Dumas avait déjà fait un héros romanesque, Mademoiselle Lange, comédienne à la vie mouvementée et aux mœurs légères…), réunis autour de la fille d’une fameuse héroïne de fiction, Madame Angot.
Quant à la musique, vite devenue populaire après la création bruxelloise (4 décembre 1872), puis la première parisienne (21 février 1873), elle est de celles qui, avec le temps, portent bien leur âge. Datée mais nullement démodée, spirituelle, vive, enlevée, elle témoigne d’un art qui va bien au-delà du simple savoir-faire, et d’une louable ambition de donner à un genre supposé mineur ses lettres de noblesse – ce n’est pas un hasard si la partition porte l’indication « opéra-comique ». Les airs sont joyeux, truculents, à peine teintés de nostalgie si besoin est, et se glissent facilement dans l’oreille. Quant aux ensembles, ils révèlent une écriture aisément maîtrisée, dont les finales sont des exemples éloquents.
À la tête d’un Orchestre de Chambre de Paris pétillant, Sébastien Rouland mène la danse avec une verve et un humour qui ne manquent pas d’élégance. Le Chœur du Concert Spirituel n’a rien à leur envier. La distribution ? C’est un sans-faute. Flannan Obé campe un Trénitz très drôle, mais sans tomber dans la caricature. Impayable dans les rôles de composition, Ingrid Perruche fait un sort aux fameux « Couplets » d’Amaranthe. D’une voix mordante, Matthieu Lécroart incarne un Larivaudière pétulant.
Artavazd Sargsyan prête à Pomponnet une finesse bienvenue. Quant au trio Clairette/Mademoiselle Lange/Ange Pitou, il est épatant. La fraîcheur d’Anne-Catherine Gillet, la classe de Véronique Gens, l’impétuosité de Mathias Vidal se fondent en un ensemble irrésistible. Tous forment une véritable équipe – et l’on sait que, dans ce répertoire, l’union fait la force.
Les dialogues parlés ont été raccourcis, mais non réécrits. L’édition musicale est celle de la création bruxelloise, et fait donc appel à un orchestre plus léger que celui utilisé par la suite. En bonus, le duo de l’acte I, entre Ange Pitou et Larivaudière, tel qu’il fut donné à Paris, en 1873, et, surtout, la version révisée du duetto du II, entre Mademoiselle Lange et Ange Pitou (« Voyons, monsieur, raisonnons politique »), bien supérieure à celle qui l’avait précédée.
Comme toujours avec le Palazzetto, le livret est imprimé dans son intégralité, précédé de textes de présentation éclairants. Tout est donc réuni pour que cette intégrale, dominant nettement la maigre discographie, devienne une référence.
MICHEL PAROUTY